Ils sont quatre et ce sont de dignes représentants d'une Amérique fourbue, épuisée, lessivée, essorée, celle des années de la "Grande Dépression" , de John Steinbeck, de Faulkner, de la pauvreté incrustée dans les veines, des despérados. Il y a Milton, Arthur, Pekka , et le petit dernier Nathan, quatre destins marqués au fer rouge de l'injustice , la fatalité, le mauvais sort, quatre voyageurs d'origine et de trajectoire fort disparates mais avec un point commun, l'absence totale de maîtrise de leur vie. Ce sont quatre ludions ballotés par les vents contraires qui vont se retrouver par le plus grand des hasards et la plus malencontreuse des déveines, et au départ sans se connaître sur le lieu de la plus grande catastrophe d'Amérique, celle de l'explosion du port d'Halifax ! Mais quelle écriture, et quel sens profond de la description, du portrait, des situations, c'est du grand ART ! Quand vous lirez, ce dont je ne saurai douter, les pages se rapportant à l'accrochage de Nathan et ses compagnons d'infortune sous les trains, vous allez, c'est le cas de le dire, être happés, ces passages sont à la fois superbes et horrifiques. Et cette narration de la catastrophe d'Halifax, cette désolation, comment vous dire, ça vous prend au col tout simplement. Voilà comment une écrivaine peut être magnifique dans l'horreur, et en malaxant ces trajectoires minuscules dans un gigantesque tsunami, en nous parlant d'une voix somptueuse de ces êtres martelés par le "fatum" si cher aux Romains, l'auteure nous donne à voir sur l'Amérique d'il y a un siècle bien davantage que des thèses arides. Merci madame de votre écriture et vifs remerciements aux éditions du Rouergue. Extraits :" Une multitude de laissés-pour-compte alignés le long des murs comme pour une exécution de masse, des visages hâves, des yeus hagards, des ventres qui gargouillent. Un peuple d'anonymes qui ne sont plus des personnes, qui ne sont plus rien, devenus inutiles, transparents depuis qu'ils sont chômeurs, devenus encombrants, devenus des nuisibles. Des moribonds que la récession ne se lasse pas de siphonner, la récession qui est pour eux une lèpre, une sangsue, une garce insatiable qui n'a de cesse de les bouffer vivants."  "Incorporée au mouvement, à l'abrasion et au vacarme démentiel, malaxée, barattée, criblée, laminée, suffoquée dans une chaleur de forge, elle flotte."  Parution le 5 janvier 2022.