"Dépassant la colonne de voitures qui avancent au pas, le pick-up dans son dos, il s'enfonce dans l'ombre des rez-de-chaussée où s'amalgament des magasins hauts de plafond, s'enfonce plus avant, sous les rails de néons, contournant des piliers de béton, passé entre les lamellés-collés, frôlé les replâtrés, les rebouchés, suinte résine synthétique, et partout rafistolent, refils électriques, rebandes autocollantes, bienvenue à Xanthi où la Grèce bricolée, la Grèce vissée, à la mondialisation remisée, au rez-de-chaussée le pays vendu, le pays bradé, aux étages du dessus y loge la Grèce d'en bas, et maintenant délogée à même la rue, à plat ventre, à Xanthi comme à Patras, à Koubaki comme à Patissia, à Larissa, la Grèce soldée, du balai ! Lessive en paquets, seaux, à grande eau, Javel, made in, échelles, bidons d'huile, joints de robinet, fuient, chlorée, pelotes de ficelle made in, sécateurs made in, cadenas made in, coussins made in, chaises pliables made in, armoires de rangement made in, pots à fleurs, nappes cirées, bottes de caoutchouc, lampes de poche, services à café, jeux de dames, toiles de tente, casseroles, éplucheurs, sacs-poubelle, corbeilles à fruits, radiateurs à huile, piles, tapis, la Grèce, China !" Voilà un polar qui s'incruste dans notre triste réalité européenne actuelle, la Grèce pays porte-drapeau de notre déshérence commune. Agent Evangelos ne pourra nier, lui policier à la lisière de la retraite qui se retrouve avec une affaire "merdique" sur les bras : une tête retrouvée sans corps à la frontière turco/grecque, à l'endroit le plus poreux quant à la fuite de migrants! Alors quand un projet de construction d'un mur en barbelés est mis sur le tapis et qu'un trublion du nom de Nikolaus Strom arrive sur le marché en voulant casser les prix, mettant à bas le jeu corrompu depuis des lustres entre un ignoble magnat grec et les technocrates de Bruxelles, quand les clampins de l'agence Frontex viennent y tremper leurs biscuits à coups d'orgies et de trafics de putes, voilà bien qui risque singulièrement de mettre du piment dans la maigre pension d'Evangelos ! Attention, excellent polar qui met les pieds dans le plat du brouet saumâtre d'une Union Européenne à l'image d'ores et déjà tristement écornée. Le style en est remarquable , à coups d'ellipses et d'une noire poésie, baignant dans une toile de fond aux remugles poisseux, sous la coupe d'une Chine éhontément invasive.  Très vifs remerciements aux éditions de l'Atalante et à Carole De Benedetti.