Non, ce n'est pas de la grandiloquence , c'est un grand livre, et oui, Nicolas Mathieu s'inscrit durablement dans la lignée des grands écrivains. En prenant une histoire simple, des personnages simples, un terroir simple, il parvient avec une aisance manifeste à nous happer dans ces parcours de vie de ces gens trimballés dans des existences subis , hâchés mais au bilan final heureux. Le lecteur va voir se dérouler l'existence d'Hélène, de Christophe, de Marco, de Greg, de Charlotte, dans un savant aller-retour entre l'adolescence et l'âge adulte, dans les Vosges, pays de prédilection de l'auteur. Hélène , c'est la grosse tête, l'étudiante brillante qui veut s'extirper de sa gangue provinciale, Christophe, c'est le grand sportif adulé des jeunes filles "en fleur", Charlotte, c'est la meilleure amie ado et bourgeoise d'Hélène. Vingt ans plus tard, ce n'est déjà plus la même histoire, Helène devenue nancéienne, en dépit d'une vie fort confortable, et c'est un euphémisme, s'ennuie et s'intérroge sur ses choix. Le hasard fait qu'elle revoit Christophe, elle, la femme mariée, mère de deux enfants, et qu'il va se produire comme une étincelle, un flash: et si, et si...........Il y a des scènes d'anthologie dans cet opus, notamment les conditions de travail en "open space", la convivialité retrouvée lors des matchs de hockey, les "bullshits jobs", ces consultants surpayés qui n'existent que pour faire de la casse sociale, la condition pavillonnaire superbement campée dans des pages acerbes. L'ensemble dans un style dépouillé et pourtant dévastateur, une écriture acérée, implacablement attractive. Le tout sur un fond de Sardou imprégnant nos campagnes, le Connemara , c'est loin des Vosges mais ça colle à leurs campagnes telle une tunique de Nessus. Extraits :" Inventer une région, il fallait quand même être gonflé et ne rien comprendre de ce qui se tramait dans la vie des gens, leurs colères alanguies, les rognes sourdes qui couvaient dans les villes et les villages, tous ces gens qui, par millions, le nez dans leur assiette, grommelaient sans fin, mécontents d'être mal entendues, jamais compris , guère respectés, et se présumaient menacées par les fins de mois, les migrations et le patronat, grignotés depuis cinquante facile dans leurs fiertés hexagonales et leurs rêves de progrès ." "Se plaindre de la nullité des stratèges, des actionnaires qui, à Miami, n'en foutaient pas une rame pendant qu'ici on se tapait des virées de deux cent cinquante bornes par jour."  "Un consultant, c'est un mec qui t'emprunte ta montre pour te dire l'heure et qui se tire ensuite avec la montre." "Car ici, la liberté ne se concevait qu'enclose, d'où ces herses obligatoires, haies de thuyas, grilles de métal, rangées de bambous et palissades amoureusement lasurées. Chaque propriété, en fixant son périmètre, organisait un dehors et son dedans, des espaces entre lesquels la frontière n'était jamais tout à fait hermétique, mais qui autorisait l'assomption d' un règne, celui du chez-soi.  Bravo, monsieur Nicolas Mathieu, vous êtes un grand indéniablement !   NSP.